Juin 2013
Texte : Adeline Rispal
Dirait-on que la forte présence de l’architecture du MuCEM est une « faillite » de la maîtrise d’ouvrage, en l’occurrence de la direction du Patrimoine du ministère de la Culture et de la Communication ? Non, bien évidemment, car l’architecture participe du rayonnement de l’institution et de l’adhésion du public à ses objectifs.
Et pourtant, on peut lire en conclusion de l’article « Scènes de musée » (Le Monde du 1/06/2013 – ci-dessous l’article en PDF) : “La scénographie a pris une place exorbitante dans le dispositif des expositions. C’est la faillite du commissariat qui doit intégrer cette question dans son travail”, propos de Nicolas Bourriaud que rapporte la journaliste Roxana Azimi.
Cet article décline tous les poncifs sur la supposée prise de pouvoir de la scénographie dans les expositions : le contenant ne serait-il pas en passe de supplanter le contenu ? Les scénographes seraient-ils en train de « prendre le pas » sur les conservateurs ? La scénographie ne devrait-elle pas être « au service » du projet scientifique ?
Il est pourtant une évidence que la transformation d’un espace urbain quel qu’il soit par une architecture ou d’un espace muséal par une scénographie quelle qu’elle soit est présence, forte car construite, présence de l’espace dans lequel se meuvent les visiteurs et qui impacte fortement leur perception de l’exposition, qu’on le veuille ou non.
Une autre évidence est que l’exposition est le résultat d’une relation dialectique entre approche physique, sensuelle et intellectuelle, et c’est ce qui en fait sa particularité, sa richesse et sa popularité.
Réduire la scénographie d’une exposition à l’ «illustration » d’un discours scientifique ou à de la « décoration » comme on l’a encore entendu dans un colloque récent sur l’exposition révèle non seulement l’ignorance mais peut-être aussi la crainte des conservateurs devant la puissance expressive de l’espace dont ils ne maîtrisent pas les conséquences.
Si la scénographie est bien une discipline de l’architecture – cette affirmation n’est pas acceptée une grande partie des scénographes français, c’est pourtant la réalité – dans sa capacité à créer des lieux pour abriter les fonctions nécessaires à l’épanouissement de l’Homme, comment se fait-il que la critique de la scénographie soit aussi dépourvue d’outils théoriques pour éclairer les lecteurs sur les enjeux de cet acte vieux comme l’art et indissociable des ars ?
Comment se fait-il que l’on ne se réjouisse pas de scénographies d’expositions qui facilitent l’accès des publics les plus divers à des projets scientifiques ambitieux et non démagogiques ?
Et comment se fait-il que les historiens de l’art et les conservateurs aient si peu, eux aussi, de connaissance des enjeux de l’espace, donc de l’architecture des musées et des expositions ?
Les raisons de cette supposée « prise de pouvoir », invoquées dans cet article, prennent appui sur les propos de Rudy Ricciotti qui se désole, d’après la journaliste, du résultat des arts de l’islam au Louvre dont les scénographes faisaient pourtant partie de son équipe. On peut se demander pourquoi ne pas avoir débattu ces questions en interne pendant la conception.
On le voit, parler de scénographie et créer des expositions ne sont pas choses simples, juger sans en connaître les articulations complexes entre projets politiques, culturels et sociaux, entre architecture muséale, programme scientifique, conservation préventive et scénographie, médiation et autres parcours handicapés… conduit à la caricature. Heureusement cet article du Monde rapporte les voix de quelques professionnels instruits de la multiplicité des responsabilités dans l’acte de créer une exposition. Il vient à propos car il illustre parfaitement les raisons pour lesquelles ce blog invisibl.eu a été créé (cf À propos).
Parler des infinies articulations entre perceptions physique, sensuelle et spirituelle qui sont au cœur de la pratique de l’espace muséal et des expositions par le public, créer une tribune pour des chercheurs et des professionnels intéressés par ces questions, faire parler les visiteurs néophytes, participer à la formation des professionnels et des étudiants en tissant un réseaux de réflexion sur les enjeux de la scénographie – que nous préférons nommer l’architecture de l’exposition – sont les objectifs du blog invisibl.eu. Merci de nous y aider.
Texte : Adeline Rispal
Photographe : Philippe Barrès