Le Générateur RX, l’art contemporain en réserve visitable

Nov 2013

Texte : Laetitia Sellam

Esquisser un pas de côté sur invisibl.eu et aborder les liens entre scénographie et galerie d’art, plus particulièrement d’art contemporain. Quels choix guident la mise en espace des œuvres dans ce lieu qui se distingue de ceux de la sphère institutionnelle, musée ou centre d’art? Comment est perçue et intégrée la pratique scénographique par les galeristes eux mêmes ?

Au cours d’une série d’entretiens, nous recueillerons plusieurs visions. Un fil d’Ariane : mettre à jour les projections, voire idées reçues sur la scénographie, décrypter des démarches et saisir des évolutions en cours. Premier rendez-vous avec Eric Dereumaux, co-directeur de la Galerie RX au sein du Générateur RX à Ivry-sur-Seine.

Ouvert en 2010, l’espace du Générateur RX, 1500 m2 avec 14 mètres de hauteur est impressionnant à plusieurs titres. C’est ici qu’étaient installés les anciens laboratoires de recherche des Joliot-Curie et qu’a été conçu un générateur d’impulsions. Après avoir gravi quelques escaliers de béton, le visiteur découvre « la plateforme ». Au sol, les dessins d’enfants de Françoise Pétrovitch, au centre les immenses figures totems de Wang Luyan, au mur les paysages photographiques de Bae Bien-U, comme suspendus dans les airs, les matières singulières de Julie Tremblay… Les médiums sont aussi diversifiés que la taille des œuvres qui se répondent étonnamment. Un souci de minimalisme semble avoir guidé l’accrochage. Les cartons sont visibles, comme les documents de travail et on devine derrière certains murs d’acier les immenses palettes de photographies. « L’histoire patrimoniale du Générateur est passionnante. Sans l’occulter, nous avons dû nous réapproprier le lieu et lui donner une identité forte en dehors de sa fonction de stockage puisqu’un millier d’œuvres gravitent ici», explique Eric Dereumaux.

L’objectif étant que les professionnels et collectionneurs prennent toute la mesure du travail des artistes de la galerie dans un espace d’art à part entière.
Le Générateur s’est constitué une identité distincte, révélant le travail des galeristes et des artistes « à cœur ouvert ». « L’idée est d’ouvrir les coulisses de notre quotidien, le transit des œuvres, celles qui partent, celles qui rentrent, attendent. Donc, les cartons sont visibles mais également la bibliothèque avec tous les livres d’artistes et documents, qui soutiennent notre travail et le leur», poursuit-il. L’accrochage est temporaire en fonction des acquisitions et des mouvements des œuvres. Le Générateur RX a aussi l’ambition d’initier des projets singuliers, déjà à travers les invitations d’artistes en résidence qui investissent librement les étages du lieu. Un jeu de renvoi est également établi avec la galerie parisienne. « Nous trouvons des échos à l’exposition en cours dans le VIIIe arrondissement en proposant notamment une vision complémentaire ou inattendue de l’artiste. Le même jeu de correspondances s’établit avec l’actualité des artistes en musées et centres d’art. »

Quels choix guident la mise en espace des œuvres ?
Eric Dereumaux privilégie une « approche intuitive ». Il emploie le terme de scénographie mais pour lui, celle-ci est à manier avec précaution et doit rester subtile. «Tout d’abord, il y a l’exigence de laisser leur « place » à tous les artistes, qu’une pièce n’en « annule » pas une autre afin qu’elles aient toutes la chance d’exister et aussi d’accéder à la vente», précise t-il. Ses propositions de mise en espace sont pour lui distinctes des expositions en musées où la scénographie a un objet différent. Dans un entretien(1) paru dans Le Monde en octobre dernier, l’historien et critique Michel Ragon établissait une distinction claire entre la monstration d’œuvres en musée et galerie d’art, distinction qui semble à première vue correspondre à la vision du galeriste. « Montrer la peinture au musée ou la montrer en galerie correspond au demeurant à des registres différents. Leur disparité réside dans leur objet et leur manière. Le musée possède une vocation éducative, tandis que celle de la galerie est plus commerciale. » Mais on peut questionner cette différence avec des lieux comme le Générateur RX et d’autres, notamment ceux ouverts de l’autre côté du périphérique, les espaces de la galerie Thaddaeus Ropac à Pantin et de la galerie Gagosian au Bourget. Lieux de vente et de stockage, ils n’en ont pas moins un projet artistique fort et revendiquent le rôle de passeur. Leur évolution actuelle redessine les contours de l’activité de la galerie d’art et devrait s’accompagner d’une mise à jour de ce qu’est la scénographie en ces lieux et/ou d’un renouvellement de ses définitions. Le sujet est ouvert et de prochains entretiens stimuleront la réflexion. À suivre, donc.

(1) L’œil de la critique, entretien de Christophe Averty in Le Monde, 4/10/2013

 

Photo d’introduction : Générateur RX, photo Laetitia Sellam