Jan 2014
Texte : André Giordan
La scénographie apparaît pour les institutions muséales comme un domaine encore jeune ; elle demeure souvent absente ou directement à la discrétion des conservateurs ou des curators, « jaloux » de leur objet, de leur tableau ou de leur projet !.. Quand elle est présente, elle peut paraitre par manque de recul comme un non-pensé ou comme un «tape à l’œil » qui pollue le message. Cet état n’est pas sans conséquence ; très souvent le message souhaité ne « passe » pas, ou même génère ennui ou évitement. Heureusement des tentatives originales commencent à structurer le domaine.
En Europe, les projets de musées et d’expositions continuent à proliférer malgré la «supposée » crise ; dans les pays du pétrole et de l’Extrême-Orient, d’immenses programmes voient le jour. De « bonnes » raisons sont mises en avant : identitaire, patrimoniale, touristique, culturelle et éducative. Sur ces deux derniers plans, les réussites en matière d’acquisition de savoirs sont rarement au rendez-vous. Les exemples sont multiples, à commencer par nos plus brillantes institutions nationales. À la Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris, de récentes expositions telles que L’énergie restent pensées comme un livre à travers une accumulation de panneaux et de données, rapidement fastidieuses. La plupart des interfaces sont indécodables sans l’accompagnement d’un médiateur motivé. Les salles de l’Art de l’Islam du premier musée de France se trouvent être une simple juxtaposition d’objets qui nécessite a minima un master d’art et de culture islamique pour en apprécier la profondeur . Dans un autre style, l’immense décor des Maîtres du désordre, au Quai Branly, « digéra » totalement le propos des conservateurs.
Il n’est pas étonnant que nombre de Français ne poussent pas la porte d’un musée.
Gardons en tête que le nombre de visiteurs reste globalement limité : seulement 27 millions de personnes entrent dans les musées en France, malgré des expositions très médiatisées. Et dans ce contexte, certains musées, comme ceux de sciences et d’art contemporain attirent toujours fort peu, comme l’illustrent ces données de l’enquête ministérielle de 2008…
Types de visites en France (MCC 2008)
Le public jeune est particulièrement peu séduit par ce type de média. Au Louvre par exemple, malgré les classes accompagnées , seulement un tiers de jeunes de moins de 25 ans l’ont visité en 2009.
Fréquentation du Musée du Louvre par âges (Musée du Louvres 2009)
Scénographie et acquisition de savoirs
Le musée, l’exposition ne sont sans doute pas les lieux les mieux adaptés à l’acquisition des savoirs. La station debout, la foule, le peu de temps à disposition, la position de consommateur, l’accès le plus souvent limité à une simple réception, etc… ne facilitent pas l’appropriation. Ce qui ne veut pas dire que ces institutions n’aient pas leur place dans ce processus. Bien au contraire, elles peuvent contribuer grandement en interpellant, en questionnant ou en créant un événement, autant de paramètres qui suscitent en amont le désir d’acquérir un contenu. En sus, elles peuvent fournir des préalables : proposer une délectation à travers le plaisir, le désir, la joie de rencontrer un objet ou un tableau symbolique, susciter une sensibilité ou transformer un regard. Elles peuvent encore présenter des repères, faire « vivre » des références, contribuer au développement « du goût », de l’esprit critique ou encore introduire à l’accoutumance au « beau » comme au «vrai». Par ailleurs, ces monstrations peuvent « nourrir » un projet personnel ; elles sont à la fois adhésion et prise de distance… L’authenticité d’un objet est un élément fondamental de l’acte de culture. Aucun de ses différents apports potentiels n’est négligeable dans une acquisition.
Toutefois rien, non plus, n’est évident ou spontané ; un contenu, un objet et un tableau ne se décodent pas, ne produisent pas de « message » pour un visiteur de base, sans préparation et sans accompagnement. Ce dernier peut très bien passer à côté sans voir… Il y va nécessairement d’un temps et des étapes dans l’appropriation. Cela est à prendre en compte dans la conception de l’espace ; celle-ci devrait nécessiter accoutumance, questionnement, susciter parfois répétition ou mise en lien. Autre difficulté à surmonter : le cadre de références, la façon de pensée du visiteur, sa logique intime peuvent aller à l’encontre du propos envisagé ; ils peuvent même faire obstacles. Sans interpellation, sans organisation, sans une mise en lumière, en d’autres termes sans une mise en scène appropriée, l’impact peut être nul et parfois même négatif. C’est dans ce contexte que la scénographie devient incontournable.
Toutefois deux « hics » sont à dépasser dans cette approche. D’abord, faut-il encore qu’elle existât vraiment au sein des productions ou a contrario qu’elle restât à sa place pour ne pas prendre la place du propos. Ensuite, pareillement, faut-il qu’elle s’interroge sur les soubassements de sa présence et de ses propositions en la matière ; et, enfin, qu’elle ose par des innovations décoiffantes sortir des habitudes, voire des modes, si ce n’est de la mode du métier d’origine du scénographe.
(suite à la prochaine chronique)
Photo d’introduction : © Musée du Louvre / Philippe Ruault